[VU DU CAILLOU #28] Nouvelle du Caillou

Un petit mot d’explication: Lors de ma dernière chronique je vous avouais avoir perdu mon inspiration sur le club durant cette funeste période. Entre-temps, J’ai participé à un concours de nouvelle entre amis. Je devais écrire autour du thème «Un peu d’air». C’est la première fois que je me livre à cet exercice. Ma divagation favorite est revenue comme par magie. je vous livre avec plaisir ma première nouvelle qui tourne autour de notre sujet favori.

Nouvelle sur le thème «un peu d’air»

«L’air de rien»

J’augure que cette nuit je ne vais pas trouver le sommeil. J’ai chaud. J’ai du mal à respirer. Je me fais du soucis en ce qui concerne l’absence de Carlos. Vincent sera-t-il à la hauteur de l’événement à ce poste qu’il va expérimenter? Plein de questions affluent et m’empêchent de trouver le sommeil dans ma chambre où les murs restituent insidieusement la canicule de la journée. Je repense au cours de sport de cet après-midi.

Ce vendredi 1er juin le thermomètre dépasse les 40 degrés au collège des Garrigues, établissement situé en haut du quartier de La Paillade. J’ai la particularité d’y vivre jour et nuit. La journée je suis un élève de quatrième et le reste du temps le fils du concierge, souvent désarçonné par sa hiérarchie incompétente. Le principal, monsieur Léger, a un patronyme qui lui va si bien. Ma maman enseigne l’Espagnol. Elle est respectée et crainte par ses élèves. Pour mon grand bonheur, je ne suis pas tombé dans sa classe pour ma première année d’Espagnol. Je me souviens que lors de cette rentrée de quatrième, j’avais le ventre noué. J’avais besoin d’air à l’annonce des noms des professeurs. Ma mère le savait depuis longtemps mais elle m’avait fait mariner dans mon jus. De plus, elle a toujours eu le souci de ne pas m’avantager par rapport aux autres. Je l’en remercie tous les jours pour cette attitude. De mon côté, je suis certain qu’elle s’est entendue avec sa collègue et amie, Carmen, pour la répartition des classes. Merci Maman pour cette bienveillance envers son fils qui ne demande qu’à être un élève parmi les autres. La fonction de Papa nous donne droit à un appartement de fonction voisin de celui du Principal. Ce dernier n’a ni femme ni enfant et c’est mieux ainsi. Je suis fils unique et j’ai donc tout un collège pour moi tout seul comme aire de jeu avec deux terrains de basket et un de handball faisant office le plus souvent de terrain de football.

D’ailleurs cet après-midi nous avons organisé un cinq contre cinq, sous un soleil de plomb, avec l’aval de notre professeur de sport, Monsieur Garcin, conscient de l’importance du moment pour les enfants du quartier. Il n’a pas suivi bêtement sa progression qui prévoyait du lancer de poids et de la corde. Hossein, en très grand négociateur, s’est entretenu avec lui et le sage professeur a saisi que ce n’était pas le moment de nous mesurer individuellement sur des futilités pédagogiques. Monsieur Garcin, pour tout dire, semblait cet après-midi tout aussi stressé que nous dans cette période de forte chaleur. Nous avions tous le souffle court dès que nos regards se croisaient. Les filles de notre classe et deux camarades, Pierre et Fréderic, complètement détendus et détachés de l’événement, se mettaient à l’abri du soleil et formaient les Paillad’fans sous un grand toit en tôle ondulée qui jouxte le terrain. Les dix joueurs présentaient un regard déterminé et sévère. Yossof ne rigolait pas comme d’habitude et taclait avec agressivité. Olivier ratait ses passes. Pour ma part, je ruminais. Ma respiration s’accélérait. Je ne jouais que par à coup. J’étais ailleurs, je me figurais déjà à demain. Je sortais du match qui me paraissait complètement inutile par rapport à ce qui allait se dérouler le lendemain.

Mis à part moi, arrivé depuis trois ans de l’Aveyron «profond», tous les joueurs de ce petit match s’avèrent natifs de La Paillade, quartier populaire de Montpellier, trop longtemps abandonné des politiques, déserté par certains et brocardé par d’autres. Mon rythme de respiration s’accélère quand j’évoque ce sujet. En effet, depuis mon arrivée en sixième, je suis tombé rapidement sous le charme de la ville de Montpellier et j’ai embrassé la cause du quartier. Mon sentiment d’appartenance n’a cessé de grandir depuis mon départ d’un petit village paisible, proche de Rodez. Mon univers a complètement été chamboulé. Je suis passé des champs à perte de vue à un paysage de banlieue. Au début, je cherchais un peu d’air au milieu de tous ces immeubles. Pourtant, La Paillade s’avère un quartier très aéré, mais pour un gamin qui a vécu ses dix premières années en Aveyron, ça ressemble à «Chicago».

En face du collège et de mon logement, se trouve l’endroit le plus défavorisé de toute La Paillade. La cité au nom évocateur,«Phobos», regroupe la plus grande misère sociale. Et pour cause, les politiques ont depuis longtemps prévu de raser tous les bâtiments et ont solutionné de murer les fenêtres au fur et à mesure. Le hic! C’est que des familles ont continué à vivre dans ces appartements sans lumière dans des conditions scandaleuses. Le cocktail parfait pour que le trafic en tout genre s’installe sans aucun contrôle possible des autorités qui laissent le mal se propager. Beaucoup d’élèves du collège viennent de cette cité. Ils n’ont qu’à traverser la route. Mon copain Saïd m’a un jour invité chez lui pour la journée. J’avais eu droit au couscous de sa maman en l’honneur de son anniversaire. Un moment d’échange qui m’a bouleversé. Une leçon de vie et d’humilité, je venais tout juste de fêter mes douze ans une semaine auparavant. Cette journée restera graver à jamais. Pourtant au début de ce samedi ensoleillé quand je suis rentré au côté de mon pote dans la cité «Phobos», ma respiration s’est emballée. Tu te sens tout petit et tu as tendance à naturellement baissé la tête, en espérant que ça passe le plus vite possible. Saïd me réconfortait en répétant: «c’est pour jouer, ils vont rien te faire, t’es avec moi mon ami…» Quelques noms d’oiseau volaient et certains à l’attention de ma mère, ce qui ne faisait vraiment pas plaisir. Mais à ce moment là, il faut savoir rester calme, prendre un peu d’air et ne pas tomber dans le panneau de ceux qui n’attendent que ça pour venir t’«emmerder» de plus près. Saïd habitait au quatrième bâtiment, en plein milieu de «Phobos». Pour le coup, j’avais peur et je manquais d’air. On avait fini par arriver chez sa maman, Leila qui m’a accueilli comme un de ses fils. Elle en avait déjà cinq que je connaissais de vue. Par contre je faisais la connaissance des deux filles, Aïda et Fatima, les aînées qui s’occupaient de la maison et des petits frères. Le Papa les a quitté il y a deux ans pour une pneumopathie très mal soignée. Leila travaillait à mi-temps comme femme de ménage. 

Comment je me débrouillerais dans cette situation? Serais je capable de vivre emmuré à huit dans un petit F3? Le couscous était exquis, mais toutes ces questions tapaient à mon cerveau. À la fin de la journée, Leila m’a remercié des dizaines de fois pour être venu à l’anniversaire de son grand. J’étais gêné car c’était à moi de dire merci. On s’est tous embrassé et Saïd m’a raccompagné. Bizarrement, je n’étais plus du tout effrayé par le chemin retour. Les quolibets demeuraient moins nombreux. Mais quelque part je les comprenais.

Depuis cette journée chez Saïd, je ne suis plus le même. Le petit Aveyronnais insouciant a fait place à un adolescent davantage conscient des inégalités et en même temps comblé de sa situation personnelle même s’il vit dans son collège et que ses parents y travaillent. Que son nom de famille, «Castro» soit quelque peu malmené lors de ses sorties dans le quartier, Il le conçoit et ça corrige tout!

Oui je respire mieux maintenant… L’air Pailladin me correspond!

Cependant, il y a un sujet pour lequel je n’ai pas évolué, c’est mon amour du foot. En Aveyron c’était mon activité principale sur des belles pelouses. Rien n’a changé à La Paillade si ce n’est que maintenant c’est sur du dur sur un terrain de handball. Les copains se réunissent tous les week-end pour participer à des matchs. Nous arrivons toujours à trouver une petite dizaine de footballeurs surmotivés.

Ce qui change par rapport au petit village de campagne, c’est qu’en bas de La Paillade  se trouve un stade où respire une pelouse magnifique, La Mosson, une enceinte pouvant contenir vingt milles personnes qui accueille uniquement l’équipe première, le Montpellier Hérault. Depuis mon arrivée, je n’ai pas raté un match à domicile. J’ai la chance d’avoir un Papa qui adore le foot, lui aussi. Dès notre arrivée dans cette nouvelle région, il m’a emmené au stade de La Mosson comme pour mieux me convaincre des bienfaits de notre nouvelle vie. Là mon papa, il a tapé juste! Dès mon premier match, avec un doublé de Roger Milla, je deviens un supporter inconditionné de ce club et bien souvent en insuffisance respiratoire durant les rencontres accrochées. 

Je me montre hâtivement touché par la personnalité du président Louis Nicollin qui a toujours milité, poussé son ami Georges Frêche pour que son équipe joue à La Paillade, dans le plus grand quartier populaire de la ville.

Je me sens en adéquation avec le club, du président fantasque, à ses joueurs, à ses couleurs et à ses supporters. C’est sûr, mon Papa ne pouvait pas s’y prendre mieux pour me faire accepter le déménagement au départ douloureux. Au bout de quinze jours, j’entonnais les chants à la gloire de La Paillade, de Loulou, de Montpellier. Mon appartenance était faite. Bien joué Papa!

Quand Le «Montpellier-La Paillade», ou plutôt depuis le début de cette saison 1989-1990 le «Montpellier- Hérault», joue à l’extérieur, je me rends chez mes amis, Yossof et Hossein, frères jumeaux, pour suivre le match à la radio en contemplant «La Mosson» depuis leur terrasse et en écoutant Philippe Sers, le plus grand des commentateurs. Tous les trois manquons d’air à chacune de ces accélérations vocales. Au coup de sifflet final, l’insuffisance respiratoire se termine, comme par magie.

Samedi 2 juin 1990 23h15

Gérard Biguet teste notre insuffisance respiratoire ainsi que celle de Loulou sur son banc préféré. Nous nous tenons par la main. Yossof, Hossein, Said, Olivier et moi suffoquons et pleurons ensemble. J’ai l’impression que mon cœur va lâcher. Je n’ai jamais eu autant besoin d’air. Loulou aussi ne tient plus assis surtout depuis que Vincent laisse passer l’occasion du KO. Je me sens en détresse respiratoire. La température dans le salon de notre logement de fonction dépasse le raisonnable. Ma Maman nous regarde avec étonnement et anxiété pendant que mon Papa se sert un énième whisky avec de la glace pour vaincre la chaleur et faire baisser la tension. C’est fini! L’arbitre Gérard Biguet siffle la fin du match. Le Montpellier-Hérault remporte la coupe de France face au Racing Paris 1 après les prolongations et un match extrêmement tendu. Loulou tombe dans les bras de son ami et maire de la ville, Georges Frêche, dans les tribunes du Parc des Princes. Après le moment de fierté absolue lors de la remise de la coupe par le président François Mitterrand, les cinq amis tentent de prendre un peu de frais sur leur terrain de handball favoris. Ils crient leur bonheur presque toute la nuit pendant que toute La Paillade exulte!

Je respire beaucoup mieux.

Stéphane Castieau

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