La société commerciale de la LFP : c’est de la merde, et voici pourquoi

Suite à l’entrée de CVC Capital Partners dans la société commerciale de la LFP, Montpellier va toucher 33 millions d’euros. Une info qui a tout de la bonne nouvelle. Car 33 millions d’euros c’est plus que les montants cumulés des transferts de Jonas Omlin, Stephy Mavididi, Téji Savanier et Andy Delort. De quoi recruter du beau monde pour les prochaines saisons. Pourtant, derrière les euros se cache le désastre.

COVID et fiasco Mediapro

Retour en mai 2018, la LFP fait le choix du risque en vendant pour 795 millions d’euros une grosse partie de ses droits à Mediapro. De quoi atteindre la somme historique de près d’1,2 millard d’euros en comptabilisant tous les lots. À ce moment-là, les présidents croient avoir touché le jackpot. « Demain, si ton patron te dit que dans deux ans, ton salaire va être doublé, quand tu rentres chez toi, tu prends le champagne avec ta femme. Il n’y a pas un président qui a émis de doutes à cet instant. Si quelqu’un vous affirme le contraire, c’est un gros menteur« , retrace Laurent Nicollin dans une interview à So Foot. À leur décharge, il faut rappeler le contexte, le marché des droits TV en France est alors florissant avec RMC qui vient de mettre le paquet sur la Premier League et la Ligue des Champions. On finit presque par croire que les arbres montent au ciel et on ne veut pas voir le retrait des droits TV italiens à Mediapro, faute de garanties financières sérieuses.

La suite ? On la connaît, elle s’écrit entre deux événements majeurs : l’un prévisible, la défaillance de Médiapro à la fin de l’année 2020 quelques mois seulement après le début de la diffusion de ses premiers matchs. Une faillite en pleine crise sanitaire de la COVID, au pire des moments et imprévisible. Cette double lame vient amputer les clubs français de deux de leurs principales ressources financières : les droits TV et les recettes de billetterie. Des pertes que Laurent Nicollin chiffre à « 15-20 millions« . On nous promet alors l’apocalypse, des clubs pro en banqueroute et l’État est obligé de mettre la main à la pâte sous forme de prêt.

Finalement, pas de faillite, mais cet épisode laisse les clubs de Ligue 1 exsangues. D’autant plus que les montants de l’appel d’offres remporté par Amazon, tenu dans une période moins faste qu’en 2018, déçoivent : 260 millions d’euros soit trois fois moins que le chèque promis par Mediapro. Les clubs de Ligue 1 ont besoin de liquidités et vont se tourner vers la création d’une société commerciale pour vendre une partie de leurs droits. Car oui, on ne vend pas ses bijoux de famille sans raison. Si la coupe d’Europe remportée par Parme se trouve aujourd’hui au Musée Nicollin c’est bien parce que le club italien n’a plus connu de stabilité économique depuis le début des années 2000.

Faire entrer les loups dans la bergerie

Comme Mediapro en 2018 avec l’exemple italien, pour mieux comprendre ce que nos présidents ont signé il suffit de se tourner vers nos voisins européens. Cette fois-ci ce sera l’Espagne. Un deal similaire pour un montant de deux milliards a été acté avec CVC Capital Partners. En échange, le fond de pension luxembourgeois aurait le droit à 11% des droits TV. Un accord auquel le Barça et le Real avaient refusé de prendre part avançant tour à tour « les incertitudes entourant le monde du foot » et des fonds « opportunistes » profitant « d’un cadeau à l’avenir« . Les grands clubs ibériques ne s’y sont pas trompés, en réalité ce qui se joue c’est une lutte face à une vision à court terme.

Prenons la calculette à partir de l’exemple espagnol : le montant global du chèque devrait être de 2 milliards, les droits TV 2021-2022 s’élève 1,2 milliards et chaque année le fond de pension (CVC Partners) a le droit à 11% de la vente des droits TV. Si les montants restent les mêmes CVC Partners bénéficiera de 132 000 000 d’€ chaque année. À partir de la seizième année au sein de la Liga, CVC aura touché plus qu’il n’aura donné initialement.

En France, la FFF et donc à travers elle la LFP bénéficie d’une délégation de service public. C’était à l’État de permettre la création d’un cadre juridique pour permettre l’existence d’une filiale commerciale de la LFP. Auditionné devant le Sénat, Vincent Labrune ressort la carte de l’apocalypse si on ne l’écoute pas : « On totalise 1,8 milliard d’euros de pertes pour les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 depuis 2019… La réforme de l’UEFA en 2024 donnera quatre places en Ligue des champions aux cinq premiers championnats à l’indice UEFA… Si on sort de ce classement, le championnat de France sera définitivement en D2 européenne, on deviendra le championnat de Slovénie. » Pour défendre son projet, il argue aussi que ces nouveaux investisseurs doivent aider la LFP à mieux valoriser son produit, mieux vendre en gros. D’accord mais comment ? Comme l’explique parfaitement Pierre Maes, spécialiste des droits du foot, dans son podcast Le Business des Droits TV, la baisse des droits TV est conjoncturelle. Elle touche presque tous les grands championnats européens et découle entre autres d’un désamour grandissant des jeunes pour le foot à la TV. Pour faire simple, dans un monde où le streaming existe, plus grand monde n’est prêt à mettre des sommes hallucinantes pour regarder du football.

Échaudés par l’affaire Mediapro, les Sénateurs avaient alors promis d’être vigilants, renvoyant d’ailleurs plusieurs fois Vincent Labrune dans les cordes. « Il n’y a eu aucune étude d’impact sur la création de cette société commerciale, car ce n’est pas une proposition gouvernementale. De son côté, La Ligue n’a remis aucune étude sérieuse résumant les avantages et inconvénients, les conditions de mise en œuvre ou les précautions à prendre relatives à ce projet« , explique le sénateur Laurent Lafont président de la commission de la Culture et de l’Éducation, à So Foot. Un manque de préparation qui n’empêchera finalement pas à la LFP très soutenue par le gouvernement d’obtenir gain de cause sur la plupart des points : ouverture du capital à 15% (contre seulement 10 souhaités par les Sénateurs, 20 par le gouvernement), simple voix consultative de la FFF à la place du droit de veto initialement prévu au Sénat.

Un véritable tour de force obtenu par les dirigeants de la LFP laissant les Sénateurs de l’opposition gouvernementale dubitatifs. À l’issue du vote, Laurent Lafont, sénateur centriste, a reformulé ses « doutes« , Thomas Dossus sénateur écologiste ironise : « On débat pour pas grand chose, car le tour de table est déjà en cours« . Si le Sénat a été aussi tatillon sur le pourcentage de part détenu par le fond de pension, c’est bien qu’il craint qu’à termes un fond de pension puisse infléchir la stratégie globale du football pro français (comme Canal+ a pu le faire avec le passage à 18 clubs). Le risque ? Pas besoin d’aller bien loin pour le comprendre, les exemples lillois et bordelais sont illustratifs, l’objectif d’un fond de pension c’est de gagner de l’argent (à cour terme) pas de développer un football. Aujourd’hui, la part cédée de la LFP est plafonnée à 15%, mais rien ne dit que, dans le futur, il n’y aura pas d’ouverture supplémentaire, surtout avec un gouvernement favorable et les crises à répétition qui bousculent l’industrie footballistique.

Une ligue toujours plus inégalitaire

Traditionnellement, en France, la répartition de la vente des droits TV était basée sur un savant calcul composé : d’une base fixe pour chaque club, des résultats sportifs sur la dernière saison, des résultats sportifs sur les cinq dernières saisons, de la notoriété des clubs. Cela permettait à un club comme le MHSC d’être récompensé de ses bonnes performances au classement. Par exemple, en 2018/2019, Montpellier touchait 29,5 millions d’euros, c’est presque autant que Nice (32 millions) et plus que Rennes (28 millions). Or, depuis la crise Mediapro, on assiste à un mouvement inverse qui voudrait favoriser les « gros » de notre championnat au dépens des plus petits. En février 2021, la LFP fait machine arrière sur la redistribution prévue au moment de l’euphorie du milliard. Le ratio initial entre le premier et le dernier devait être de 1 à 2,62, il passe à ce moment-là à 3,26. C’est dans cette continuité que s’inscrit la répartition des sommes liées à la création de la société commerciale de la ligue. Montpellier touchera 33 millions environ 2,5 fois moins que Nice, 6 fois moins que le PSG. Du jamais vu. Cela ne dit rien de la future répartition des droits TV (qui doit être négociée dans le cadre de la nouvelle société commerciale) mais cela confirme une dynamique bien enclenchée.

Alors, Laurent Nicollin, Jean-Pierre Caillot ou Marc Keller sont-ils de si mauvais négociateurs que ça ? La réalité, c’est que les clubs dont on promettait la banqueroute au moment du retrait de Mediapro sont bel et bien les clubs non-détenus par des milliardaires ou des États souverains. Nice, Rennes ou le PSG n’ont pas de besoin vital d’entrée rapide de cash et cela les a mis dans une position de force lors des négociations. La simple opposition du PSG à la création de la société commerciale, comme celle du Real et du Barça en Espagne, aurait suffit à faire capoter le projet. Car avec Messi, Mbappé et Neymar dans leurs rangs, c’est aussi eux qui créent la valeur de la Ligue 1 aux yeux des fonds d’investissements. Dans ce contexte, les « forts » dictent leur lois aux « faibles ». Et cela ne préfigure rien de bon pour l’intérêt sportif des prochaines saisons. Les titres de Montpellier, Monaco et Lille dans l’ère qatarie étaient déjà des exploits, ils sont en passe de devenir quasi-impossibles.

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