Pailladin d’ailleurs #9 – Théo, Riyadh c’est foot

Alors qu’ils étaient bloqués depuis des décennies sur l’Europe, cet été les projecteurs du football se sont soudainement braqués sur la péninsule arabique. En cause, l’agitation inédite causée par le mercato XXL de l’Arabie Saoudite. En quelques semaines, les terminaux aéroportuaires du pays ont vu défilé Neymar, Fabinho, Ruben Neves, Mahrez et du français Theo Lemaire. Théo Lemaire ? Non, il ne s’agit pas d’un obscur latéral droit de Laval dont vous auriez raté le transfert, mais de notre pailladin en vadrouille du jour qui n’avait pas attendu Cristiano Ronaldo pour s’installer dans le Moyen-Orient.

Théo y a débarqué en 2022, quand son club bruxellois a décidé de l’envoyer en prêt pour trois ans avec quelques mois supplémentaires en options. « Je suis fonctionnaire européen, j’appartiens au corps qui représente l’Europe à l’extérieur de ses frontières, c’est vrai que c’est méconnu comme métier par rapport à la diplomatie classique. En résumé, mon taff, c’est de défendre les intérêts de l’Europe, mais dès que je peux j’essaie aussi de diffuser ma région, ma ville et mon club de cœur forcément ». D’accord, mais parle-t-on vraiment foot dans les couloirs de Bruxelles ? Car on aurait vite fait d’imaginer nos hauts fonctionnaires plus attentifs aux colonnes des Echos qu’à celles de l’Equipe. Un cliché que Théo tient à nier en bloc : « bon déjà, il faut imaginer que c’est un poste beaucoup moins élitiste que ce que l’on croit, moi, par exemple j’ai fait la fac à Toulouse, puis je suis parti dans une université en Belgique. Parmi mes collègues, il y a des personnes issues de tous les milieux. Comme c’est le sport n°1, le foot a tout de même de l’importance. Puis, il faut revenir au fonctionnement d’une ambassade, tu n’as pas que les cols blancs, tu as aussi des collègues agents locaux qui disposent de contrats de droit local qui vont travailler dans des fonctions administratives comme les ressources humaines ou le secrétariat. Par exemple : j’ai un collègue tunisien qui voit très bien qui est Khazri et je le chambre toujours en lui disant qu’il etait bon avec sa sélection mais pas avec nous ».

Au final que ce soit à Riyad, Toulouse ou Bruxelles, pour le jeune trentenaire le problème reste le même : Montpellier dispose d’une fan-base limitée. « C’est vrai que notre communauté est assez restreinte mais à l’international, t’imagines pas la galère. A Bruxelles, j’ai eu un coup de bol, j’avais trouvé un diplomate français qui supportait aussi le MHSC. C’était bien, on pouvait souffrir ensemble sur les penaltys ratés de Junior Sambia», se souvient le fonctionnaire. A défaut d’avoir trouver un acolyte pour suivre les dramas du MHSC, Theo essaye de convertir ses connaissances saoudiennes : « Je ne vais pas te cacher qu’ici, les Saoudiens ils ne connaissent pas le club. J’essaie de leur vendre autre chose, leur dire que c’est un club familial, qu’on a gagné le titre en 2012, que pour un supporteur aussi c’est différent car chaque point compte, chaque victoire est une joie intense. Un Parisien qui gagne 5-0 contre Brest, il s’en fout tandis que nous, un match nul contre Rennes peut nous satisfaire. Ils sont intéressés, mais bon, je te rassure, je ne suis pas en train de créer une communauté en Arabie Saoudite. »
Heureusement, en 2023, on dispose de quelques outils pour rester au plus proche de son club même en étant à des milliers de kilomètres. A commercer par Twitter où Théo est actif et n’hésite pas à glisser un mot pour le MHSC entre quelques retweets sur les affaires du monde et pour suivre les matchs reste l’option France Bleu Hérault. « En Arabie Saoudite, il n’y a pas d’heure d’été, donc ça fait 2h de décalage en hiver, 1h en été. C’est peu certes, mais le problème c’est qu’ici, le premier jour de la semaine c’est le dimanche. Et comme nos matchs tombe souvent à 15h, je me retrouve au boulot et je suis le match à travers la voix de Bertrand Queneutte.« 

Quel match ! Enfin une référence et une victoire à domicile. Merci à @B_Queneutte de nous transmettre les émotions de la Mosson jusqu'à Riyad. https://t.co/KdU69PAPEb

— Théo Lemaire 🇪🇺 (@LemaireTheo) October 29, 2023

Avant de suivre les matchs de la Paillade depuis son poste de radio, Theo a pourtant bien connu les travées de la Mosson. Né en 1992, il appartient à la génération de supporter qui a presque été plus marquée par les joies de la montées que par celles du titre. « Je suis de Normandie, je suis arrivé à Montpellier à 8 ans et j’ai dû faire mon premier match en 2006, un Montpellier – Ajaccio [18 mai 2007, 37e journée, victoire 2-0, ndlr] à quelques journées d’une potentielle descente. Dans mon collège, quand j’ai commencé t’avais qu’un type pour Montpellier, il nous a poussé à aller au stade. Un jour, il nous a offert des places, c’est marrant parce que personne payait ses places à l’époque, retrace le diplomate. C’était un des premiers match de Courbis, coach que j’ai suivi jusqu’à la montée. A mon sens, d’ailleurs la saison de la montée est plus folle que celle du titre. Parce que celle du titre, elle arrive dans la lignée d’année de folie : l’ascension en L1, l’Europa League, la finale de coupe de la ligue. Quand on monte, ça fait suite à des années de disette. Je dirais même que le match contre Strasbourg a réconcilié la ville avec son club car avant ça ce n’était pas forcément bien vu d’être supporter du MHSC, on était un peu moqué. Les gens ont fini par se rendre compte que La Mosson est un super stade et ont fait de belles saisons en Ligue 1, dès l’année d’après. »

Des saisons de Montpellier en Ligue 1, Theo retient surtout la toute première « parce qu’ensuite je suis parti à Toulouse pour les études. La saison du titre, je l’ai suivi à l’arrache en streaming. En plus à l’époque c’était pas la qualité de maintenant. Mais le dernier match contre Auxerre, je m’en souviens parce qu’au coup de sifflet final, je n’ai pas pu dormir de la nuit. Le problème : c’est que le lendemain, j’avais un examen super important, j’y suis arrivé explosé. Bref, le titre a failli me coûter mon diplôme ». C’est donc très logiquement que pour l’instant anecdote, il a choisi une histoire de déplacement; à Marseille: le 19 septembre 2009. « C’était un des premiers déplacements dans le sud, il y avait eu Nice juste avant. Alors, on y était allé en bus, on était 2000. C’était juste après des incidents à Nice [jet de pétards sur la pelouse entrainant un arrêt du match, ndlr]. Donc avant la rencontre à Marseille, t’as un arrêté préfectoral qui tombe et qui leur demande de nous contrôler à fond. On met environ une heure à se faire fouiller, si bien que quand on rentre dans l’enceinte c’est déjà la seconde mi-temps. Je me souviens qu’à l’époque, on a pas de smartphones, on avait des doutes sur le score malgré les cris de joies entendus. En fait Montpellier perdait 3-0, on l’apprend mais le capo nous demande d’enlever tous les tee-shirts et de faire la fête. Les Marseillais nous regardaient interloqués en mode : ‘mais c’est qui ces dingos, ils perdent 3-0 et ils vivent leur meilleur vie’. Le match se termine sur 4-2, donc ça nous aura quand même permis de voir des buts. »

Avant de quitter Theo, on ne resiste pas à lui poser quelques questions sur ce championnat saoudien qui fait tant parler de lui mais que personne ne connaît vraiment. « On a le vilain défaut de comparer tous les pays du golfe, mais l’Arabie Saoudite c’est 40 millions d’habitants. Tu as une grande classe moyenne aisée à des niveaux de salaire comparable à l’Europe et des billets à des tarifs très abordables : à 6-7€ tu peux aller voir un match en tribune populaire. Donc oui, t’as plus de monde dans les stades qu’au Qatar, synthétise Théo qui s’est même trouvé un club local à soutenir. Mon équipe favorite c’est Al Hilal [club de Neymar, Milinković-Savić, Kalidou Koulibaly, ndlr], c’est le club le plus populaire dont la fanbase n’a pas tant changé si tu compares à Al Nassr qui s’est très internationalisé suite à l’arrivée de Cristiano Ronaldo. »

Vivre en Arabie Saoudite, c’est aussi vivre une autre Ligue des Champions, celle de l’AFC. « Je suis allé voir le match de Ligue des champions entre Al Nassr et Persepolis, j’étais curieux de voir s’il y avait des iraniens qui se déplaçaient parce qu’il y a de fortes tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, il y a encore un an les matchs étaient sur terrain neutre. Il y a eu quelques timides avancées vers une normalisation des relations entre les deux pays, c’est pour ça que le match a pu avoir lieu sur le sol saoudien. Il n’y avait pas de tribunes visiteurs, mais une bonne fête avec des iraniens qui étaient mélangés en plein tribune des ultras d’Al Nasrr, ils avaient des couleurs bien visibles. Cela dit, tout ça est très fragile, en octobre un match entre le club de Sepahan et l’Al-Ittihad a été annulé à quelques minutes du coup d’envoi à cause de la présence d’un buste de Qassem Soleimani à l’entrée des vestiaires, ce qui avait été vécu comme une provocation par les Saoudien » [ancien commandant de la Force Al-Qods du corps des gardiens de la révolution islamique iranienne, tué par une attaque de drone américaine en 2020 et élevé au rang d’icone en Iran, pour en savoir plus sur l’incident , ndlr].

Déformation professionnelle oblige, le diplomate conclue en livrant une analyse plus globale de la place du football au sein de la Monarchie pétrolière. « La stratégie de l’Arabie Saoudite n’est pas tant de miser sur l’Europe, à l’exception de Newcastle, leur but c’est attirer des touristes. Egalement, d’apporter une source de divertissement à la population qui est demandeuse, ils sont tous très fiers d’avoir des grands joueurs. Très honnêtement, le championnat n’est pas très compétitif, il le sera peut-être à l’avenir avec l’objectif de former de bons Saoudiens. Je pense que ça aura des résultats mais de la à imaginer un niveau comparable à la Ligue 1 ou la Premier League, ça me paraît mission impossible. »

De toute manière Théo ne devrait plus être là pour le voir, puisqu’il est amené à rester dans ses pays d’affectation que pour des courtes périodes de maximum quatre ans. L’occasion d’aller le retrouver d’ici quelques années pour qui nous parle de sa passion depuis un autre coin de l’hémisphère.

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