Pailladin d’ailleurs #8 – Patrick, partir vivre sous un soleil levant orange et bleu

Quand les historiens s’amusent à retracer le parcours du football en France, ils s’arrêtent sur plusieurs tournants, comme autant de marches nécessaires pour atteindre le statut particulier dont dispose ce sport dans l’Hexagone : 1958 et la troisième place au mondial, 1984 le premier titre international, 1998 le graal. Au Japon, c’est un peu plus simple : on pourrait presque faire débuter l’histoire du football dans ce pays à la coupe du monde de 2002 (la création de la J-League en 1992 faisant office de préhistoire). Si on suit ce calendrier footballistique, Patrick est arrivé au Japon en l’an 1 après le mondial. « Au départ, j’avais juste une copine japonaise qui était en fac à Paul Valery à Montpellier. À un moment, elle a dû rentrer au pays et j’ai voulu faire un petit séjour de 15 jours à l’automne 2003. Ça m’a plu, donc après j’ai fait les démarches pour faire un visa travail – vacances. Pour rester un an de plus. »

Jusque-là, l’aventure de Patrick au Japon n’a rien d’original : il atterrit dans une guest house à Osaka, puis rejoint Kobé où il bosse dans les métiers de bouche, « comme tous les français expatriés au Japon au début des années 2000.» Mais ce qui va lui permettre de s’enraciner dans l’archipel, c’est le sport. Pas le football, non, un art martial typique du Japon : le karaté. « En fait, il faut voir que c’était avant Facebook, entre expats, il y avait des sortes flyers où les étrangers mettaient des petites annonces. Je commençais à donner quelques cours de français, à me mettre à fond sur l’apprentissage de la langue et là, à la toute fin de mon séjour, je ne sais plus trop comment, je me suis mis au karaté. Un choix que je ne vais pas regretter parce que mon sensei va me proposer de me sponsoriser à travers un visa culturel qui permettait de rester trois ans de plus« . Le natif de Frontignan saute sur l’occasion, mais entre-temps il retourne en France, histoire de faire 7-8 mois d’intérim pour mettre de côté les 8000€ nécessaires pour le visa. Puis de retour au japon, il s’investit à fond dans le karaté : « La compétition, c’était super dur, t’imagines, j’avais quelques mois d’expériences et je tombais contre des japonais qui avaient 15 ans de karaté et qui étaient plus jeunes que moi. Mais franchement, je ne pouvais pas avoir un meilleur environnement pour apprendre la langue et comprendre la culture. Finalement, ça a duré trois ans, je me suis débrouillé pour arriver jusqu’au premier dan de la ceinture noire et j’ai même pu enseigner le karaté aux plus jeunes. » Comme pour les footballeurs et leur hantise des ligaments croisés, c’est une blessure qui poussera Patrick vers un retour en France. « C’était pas évident parce que j’approchais de la fin de la vingtaine, au fond, je n’avais rien de concret en termes de diplômes et mes expériences étaient au Japon. Donc, je me suis tourné vers l’enseignement comme je donnais des cours de français depuis des années à Kobe. Grâce au jeu des équivalences, j’ai pu rentrer en troisième année de français langue étrangère (cursus pour être professeur de français à l’étranger). » Bis repetita, c’est l’amour qui va encore le remettre sur le chemin du pays au soleil levant. « J’ai rencontré ma femme à Montpellier qui était venue étudier la musique en France. » Une fois leurs diplômes en poche, ils repartent au Japon. « C’était en 2011, juste après Fukushima, l’image du pays en France était très écorchée« . Depuis, même s’il lui arrive d’être nostalgique de « notre belle région » et des rives de l’Etang de Thau, rien ne semble pouvoir le faire bouger de Kobe où il s’est installé. La preuve : en 2020, il était tout près de revenir en France, mais celui qui travaille désormais entre la traduction et l’évènementiel a buté sur la crise sanitaire. Comme si le destin refusait de le laisser partir de l’archipel.

Bon ok, mais la Paillade dans tout ça ? Pour retracer son histoire avec le MHSC, il faut remonter à la primaire. Au CM1, même plus précisément. « La fille de ma maîtresse de l’époque sortait avec un footballeur nommé Laurent Blanc. Il était venu dans notre classe et j’avais vraiment été impressionné. Il a une stature qui en impose. À l’époque, il était tout jeune avec ses frisouilles. Je ne venais pas d’une famille branchée foot, donc mes premiers souvenirs c’est les albums paninis. » Pas de secret, ce sera à travers le stade qu’il va cultiver sa passion pour le foot. « J’ai commencé à y aller à l’adolescence, j’avais des potes fans. On jouait beaucoup au foot, puis il y a eu les premiers matchs à la butte. C’était l’époque des Baills, Rouvière, Carotti, Bakayoko, Maoulida. D’ailleurs, j’ai fait quelques déplacements mémorables. Une fois, j’avais prévu de partir pour un déplacement à Marseille. On avait rendez-vous devant le stade, et là arrivés devant tous les bus sont remplis. Il restait des places dans un mini-van mais on m’a dit : « fais gaffe, c’est les plus chaud, eux ». Premier arrêt sur l’autoroute, sur une aire à Nîmes, direct ça commence à hurler et ils retournent une cabine téléphonique. T’avais moins de sécurité à l’époque et je me rappelle aussi que l’arrivée au Vélodrome dans nos minibus c’était très chaud. Puis une fois dans l’enceinte, les Nokia volaient dans tous les sens« .

Pour suivre la Paillade depuis le Japon, Patrick troque les aventures en minibus pour les galères de streaming et de décalage horaire. « Il y a sept heures de différence entre ici et la France. Donc bon, avec le passage aux matchs à 15h, je suis gagnant ça me fait les matchs à 22h, une fois que les enfants sont couchés. Avant avec les rencontres à 20h, c’était une autre paire de manches. Pourtant paradoxalement, l’année du titre j’ai réussi à voir au moins une trentaine de matchs. Je me souviens du match à Auxerre, il était à 20h, j’ai dormi tôt et je me suis réveillé à trois heures et demi, pour me foutre devant l’ordi. Dans le même style, je me souviens du quart de finale de 2006 contre le Brésil, j’étais tellement excité que je n’avais pas dormi, mais bon j’étais plus jeune et je faisais beaucoup de sport. C’est pas comme maintenant (rires). »

Forcément, on a aussi envie d’en savoir plus sur le football nippon, ça tombe bien Patrick a potassé avant l’interview. « Même si au Japon, les moins de 30-35 ans sont très foot. Ici le sport numéro 1 c’est le baseball. Le club fanion de ma ville, c’est le Vissel Kobe. Historiquement, c’est Osaka la place forte historique du football. Le Vissel Kobe si tu veux c’est plus le PSG. Les nouveaux riches. Ils ont vivoté longtemps en deuxième division, puis un gros groupe, Rakuten (qui était un temps sponsor maillot du Barça) les a racheté. Ils sont arrivés avec beaucoup de moyens et un partenariat avec le Barça, on a vu débarquer David Villa, Podolski , Iniesta, Bojan, Sergi Samper. » Et puis, il y a le petit dernier : un certain Matheus Thuler. « Je l’ai vu jouer en streaming, puis il débarque à Kobe en prêt. Il faut croire qu’il a réussi son prêt au Vissel, puisque le club vient de lui offrir un contrat, mais un truc qui me ferait vraiment kiffer c’est de voir arriver un joueur de Kobe à Montpellier. Un peu comme au Celtic où ils ont une filière japonaise qui marche très bien ». En attendant, il y a toujours quelques petits clins d’œil de la vie, comme cette fois où il voit un maillot de Montpellier à Kyoto dans une boutique d’occasion, puis quand Téji Savanier a débarqué au Japon pour disputer les JO. « Malheureusement, c’était en pleine période COVID, donc impossible pour moi d’avoir des billets« .

Le kop de Kobe lors de leur victoire très nette 3 0 de Vissel Kobe premier du championnat sur léquipe de Yokohama FC bon dernier ce dimanche 7 mai 2023

« Pour moi, suivre le foot, c’est me rapprocher de mes racines, de toute mon adolescence au stade à suivre à Montpellier, c’est un attachement identitaire« , finit par résumer le Japonais d’adoption. Au fil de nos échanges, il s’attarde aussi sur le débat suscité par le dernier épisode de Pailladin d’ailleurs au sujet de la colonie de de fils d’ancien joueur du club. « Je ne suis pas particulièrement pour une politique pro « fils de« , mais à mon sens, ils doivent avoir leur chance, peu importe qu’ils viennent d’ailleurs comme Leroy ou de notre centre comme Tchato et Delaye. Cette spécificité fait partie de l’âme de ce club, de son côté famille. Puis, moi qui ai connu cette génération là, ça me fait kiffer de voir les fils arriver en équipe première, il y a un passage de témoin, c’est quelque chose que l’on ne voit que dans les grands clubs comme au Milan AC avec les Maldini« . Un petit plaisir qui s’appuie aussi sur plusieurs arguments rationnels. « Déjà au très haut niveau, il n’y a pas de cadeau. En fin de compte, il n’y a que la qualité qui prime, il n’y a pas de passe-droit. Je pense, qu’au fond, c’est comme une entreprise, tu as intérêt à varier les profils. Sans vouloir rentrer dans les clichés, les joueurs issus de milieux populaires ont peut-être plus la dalle et j’entends parfaitement les arguments opposés à ce genre de politique de formation, redoutant l’entrisme et le favoritisme que cela pourrait occasionner. Cependant, si on regarde du côté des arguments « pour« , j’en vois aussi plusieurs : les enfants de joueurs professionnels ont été biberonnés au football depuis le plus jeune âge. De fait, ils bénéficient d’un environnement qui peut leur apporter beaucoup plus tôt les clés pour réussir dans ce milieu où la concurrence est féroce. D’un autre côté, un « fils de » peut être protégé des tentatives de manipulation de la part d’agents ou d’un entourage qui pourrait être pressé de faire signer un contrat mirobolant à leur jeune pépite. Ce qui laisserait donc le temps au joueur de mûrir et de se concentrer sur sa formation sans être perturbé par des questions financières.

Patrick essaie aussi de dresser une définition assez précise du fameux Esprit Paillade dont tout le monde parle sans vraiment savoir de quoi il s’agit : « je pense que cela regroupe plusieurs aspects, dans le jeu comme l’engagement physique, le don de soi, l’amour du maillot, mais ce sont encore des valeurs assez communes, quoique, dans le football. Pour moi, ce qui fait son originalité, c’est plus l’identité du club qui est indissociable de la famille Nicollin, puis de tout ceux qui l’ont rejoint dans cette folle aventure. Une histoire de passionnés et d’amitié bien de chez nous, et ça continue encore aujourd’hui . Et c’est ça qui le rend atypique.« 

C’est à travers un proverbe asiatique que Patrick choisit de clôturer notre long entretien. « On dit que même une montre arrêtée est à l’heure deux fois par jours. Je trouve que ça marche très bien avec notre club. On a connu notre heure de gloire et je ne doute pas que ça arrivera de nouveau, il suffit d’être patient. Ce club vit dans l’inattendu perpétuel : on peut gagner un titre face au PSG avec le 12e budget de Ligue 1, on mène au score 4-0 à Marseille avant de les laisser revenir au score, on est capable de gagner 7-0 dans une saison pourrie [entretien réalisé en mars 2023, avant le match contre Lyon]. Il y a un grain de folie à la Paillade : le doigt d’honneur de Canto, de Girard en Ligue des Champions. D’ailleurs un de mes grands plaisirs c’est d’écouter, les sorties de Courbis, de Loulou. Mais attention avec ce dicton, je ne veux pas dire que le club est figé. On est capable d’innovation : on était parmi les premiers à se doter d’une section féminine, je me souviens aussi de l’usage de la cryothérapie l’année du titre alors que ce n’était pas courant. Bref, dans le football actuel, l’originalité ne serait-elle pas dans le fait de rester fidèle à nos valeurs et ce qui a fait notre réputation ?  L’ouverture du capital du club à un richissime investisseur étranger : je ne verrais pas cela comme une innovation mais plutôt comme un aveu d’échec et un pari très risqué. D’autres clubs s’y sont déjà brûlés les ailes et je ne voudrais pas que mon club chéri soit le prochain sur cette longue liste. »

Si vous êtes aussi un Pailladin d’ailleurs et que vous voulez témoigner de votre passion à distance, n’hésitez pas à laisser un commentaire sous cet article, ou si vous êtes plus timide, contactez-nous à l’adresse mail suivante : [email protected]. En attendant un nouvel épisode, vous pouvez toujours consulter les précédents numéros de Pailladins d’Ailleurs :

#1 : Rémi, Lys-Les-Lannoy (59)

#2 : Jérôme, Vanvey (21)

#3 : Antony, Tourcoing (59)

#4 : Lionel & David, Winnipeg (Canada)

#5 : Jean, Berlin (Allemagne)

#6 : Hugo, Métabief (25)

#7 : Jérôme, Austin (Etats-Unis)

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