Pailladin d’ailleurs #7 – Jérôme, ou comment troquer ses crampons pour une paire de santiags

Qu’est-ce qui peut bien pousser un Pailladin à quitter l’Hérault pour Austin, Texas ? La finale du trophée des champions ? L’éphémère EA Ligue 1 Games ? Perdu. « J’ai rencontré une fille, une Texane, elle m’a attrapé avec son lasso et m’a traîné de force direction le Texas », en rigole Jérôme qui m’accueille en visio avec en fond une photo de Laurent Nicollin en train de boucler la signature de Nozomi Hiroyama. Voilà qui plante un homme.

Malheureusement, le seul amour qui dure éternellement est celui qui lie un supporter à son club. L’idylle entre Jérôme et le MHSC démarre sur les bancs de l’école : « À l’époque, je jouais à Castelnau. En plus, je faisais les stages « Foot Plaisir » qui étaient organisés par le MHSC, ils te donnaient l’équipement, forcément ça renforçait ton sentiment d’appartenance au club. Je crois même que les résultats du club ont eu un impact sur ma scolarité, je ne pouvais pas me lever quand on perdait. Et à l’époque, on a fait deux descentes quasi consécutives, alors tu imagines … ». Des années 2000, Jérôme garde aussi une nostalgie pour nos recrutements exotiques : « Moi, j’ai vraiment kiffé quand on avait fait venir la clique portugaise : Rui Pataca, António Gouveia, Paulo Sérgio, Rixa. Quitte à faire revenir les anciens, eux pourraient au moins aider avec la construction du stade» . Puis, il y a eu ce stage au service communication du MHSC en 2007 en Ligue 2. « Ça m’a permis de voir comment fonctionne le club de l’intérieur. C’était pendant la période Courbis. On avait une chance de dingue de pouvoir vivre au quotidien avec un mec comme ça. En plus, les cloisons n’étaient pas très épaisses. Tous les matins, on avait le droit à la minute nostalgie : Nicollin passait au siège et Courbis lui parlait de ses années dorées à Bordeaux, à Toulon, à Endoume… Avec les autres stagiaires on s’amusait à faire des lancements radio parce que c’était génial, il s’emballait pour n’importe quoi, il avait des partis pris sur tout ».

Finalement, Jérôme n’est pas devenu directeur de la communication du MHSC, il a poursuivi les études. C’est ce qui lui permettra d’atterrir une première fois aux États-Unis. « J’avais vu un reportage sur Sebastien Le Toux, un attaquant qui n’a pas réussi à s’imposer à Lorient et qui est parti en MLS, où il a explosé au Philadelphie UnionEt je crois que c’est ça qui m’a donné envie d’aller aux USA ». Par chance, son école propose un échange universitaire outre-Atlantique. Le début du rêve américain. « Je suis parti six mois en Caroline du Sud, l’état le plus pauvre du pays. Pourtant, je m’y suis senti bien tout de suite. J’ai adoré mon expérience donc j’y suis retourné, mais cette fois, dans l’état le plus riche du pays : le Texas». Seule ombre au tableau, Jérôme choisit mal son moment. Il part en 2012, l’année du titre. « C’est mon plus grand regret avec le MHSC d’avoir raté le sacre. Pendant que vous étiez tous sur la Comédie à faire la fête, moi j’étais dans un putain de ranch à traire des vaches. J’ai rien vécu en direct, je voyais que des extraits de matchs. » Notre expatrié aura quand même sa revanche, il est dans les gradins pour le premier match de Champions League du club face à Arsenal, son dernier en date à la Mosson.

Car la suite de l’histoire s’écrit aux États-Unis. En 2014, il commence un blog sur la MLS. « Aux USA, t’as pas besoin d’une accréditation. J’avais un compte Twitter avec quelques milliers de followers donc c’était très facile. J’allais voir les matchs à Dallas et Houston. Je faisais des articles un peu décalés sur les pires coupes de cheveux de MLS, les plus beaux maillots, j’ai aussi interviewé Didier Drogba et même eu quelques scoops comme la retraite de Peter Luccin, alors joueur au FC Dallas, que So Foot s’est empressé de me piquer. » Au panthéon de ses souvenirs, il y a cette rencontre complètement folle entre Dallas et Toronto en 2015. Bon, déjà la partie avait commencé par un but à la 26e seconde. Mais c’est la suite qui tourne au délire : alors que Dallas à l’occasion de mener 4-0, un éclair s’abat sur la ville. Un projecteur s’éteint et le stade est à moitié plongé dans l’obscurité. Le match va-t-il reprendre ? L’organisateur de la compétition laisse les supporters dans le flou. Le coup d’envoi a été donné à 19h30, il faudra attendre 23h30 pour avoir la première communication de la ligue. À chaque éclair, la MLS décale la reprise de 30 minutes. En coulisse, les gradins se vident et les pauvres journalistes (dont Jérôme), eux, tentent de se montrer solidaires pour glaner des infos. Finalement, le match reprendra 5h30 après l’interruption. « Et c’est pas tout, ce jour-là, j’avais eu le malheur de tweeter « Perquis beaucoup » parce que Damien Perquis s’était bien troué sur le troisième but encaissé par Toronto. Après ce match totalement apocalyptique, il était venu me trouver pour me dire que c’était inacceptable et Benoît Cheyrou m’avait mis un coup de pression. Pour clôturer tout ça, je finis le match dans les vestiaires de Toronto [aux USA, beaucoup d’interviews d’après-match se font directement dans les vestiaires] t’avais Giovinco la bite à l’air sans pression qui répondait à des questions.» 

Forcément à force de côtoyer des internationaux italiens à poil, Jérôme se rapproche de la petite colonie d’Européens qui foulent les pelouses de MLS. De quoi lui permettre devenir un intermédiaire entre le vieux continent et les États-Unis en parallèle de son activité professionnelle principale. « Je bosse avec un agent franco-américain, on travaille principalement sur le marché féminin, parce qu’aux USA, il y a beaucoup de très bonnes joueuses mais les clubs européens n’ont pas encore le réflexe de venir les chercher. Ça m’arrive aussi de bosser pour les mecs, mais c’est compliqué. Ici, tu as un agent qui a quasiment tout le marché qui s’appelle Jérôme Meary. C’est un Français, mais il fait même les gros transferts. Pirlo, Drogba, Giovinco, David Villa, c’était lui par exemple. À mon échelle, et pour revenir à la Paillade, j’ai proposé quelques joueurs à Bruno Carotti : le premier c’était Fabián Castillo vers 2015-2016. Il était monstrueux à Dallas, je le voyais exploser en Europe. Finalement, il est parti en Turquie et plus rien. Pareil, au moment où Louis Nicollin avait pesté sur sa cellule de recrutement et exigeait la venue d’un défenseur central [fin septembre 2016]. J’avais essayé de placer Laurent Ciman qui était international belge et un pilier de Montréal. À la place, on a recruté Mongongu, j’étais fou. Bon, après, quelques mois plus tard, Ciman est parti à Dijon et ça n’a pas marché ». Quand on demande à Jérôme comment il explique que des valeurs sûres de MLS n’arrivent pas à faire leur trou en Ligue 1, il tente de donner des explications : « En MLS, il y a des pépites. Le problème, c’est la capacité d’adaptation car le système est différent : tu as une saison régulière, puis les plays-offs. Tu as moins besoin d’être régulier (Olivier Dall Oglio aurait été parfait pour ici!). La ligue est fermée donc tu as moins de pression quand t’es en bas de tableau. Ce que beaucoup de gens ignorent c’est que les salaires sont aussi beaucoup plus bas aux USA du fait du salary cap, tu peux vite passer de 4000 € ici à 30 000 ou 40 000 en Europe. »

Jusque-là, l’intégration de Jérôme aux USA a tout d’exemplaire. Avec un sens du storytelling, de la formule et de l’humour très anglo-saxon, il se décrit même comme un « Américain dans le corps d’un Français. Car l’inverse aurait été ballot » , mais sa passion pour le football, elle, reste une névrose bien européenne. « Avec ma passion du MHSC, c’est comme si j’étais un vegan au salon du barbecue. Les gens ne me comprennent pas mais me sourient avec douceur. Tu sais, ici, il y a une façon très différente de consommer le sport. Globalement, les gens s’en foutent que leur équipe perde, ils viennent pour le show, le divertissement. Alors quand mes amis me voient en PLS dans ma douche après une énième défaite de Montpellier, j’ai l’air d’un OVNI pour eux. Parfois, il y a des curieux : « C’est quoi ce club avec du orange ? ». Pour les accrocher, j’essaie de leur dire qu’on a eu Cantona, Laurent Blanc, Giroud, qu’on a même refusé Griezmann. Mais ils connaissent rien, ils me demandent juste si c’est le club de Mbappé. Même ma fille qui est née ici, je lui ai acheté un maillot, mais je crois qu’elle sera plus hockey que football, au final. »

« Vous, vous pouvez parler entre vous du club, des résultats, du match. Moi, ici, j’ai personne pour vider mon sac », me résume Jérôme, presque envieux de la chance que j’ai de baigner dans un milieu de passionnés. Dommage que personne ne soit disponible pour écouter les réflexions de notre expatrié, car au cours des presque 2 heures qu’a duré l’interview, il a enchaîné les idées pour développer le club et les avis tranchés. Son fil rouge ? Une critique espiègle et acerbe de « l’Esprit Paillade» [l’interview est réalisé avant l’article de l’Equipe sorti à ce sujet mi-février]. « J’en peux plus des Enzo Tchato, des Sacha Delaye, des Ryan Bakayoko ou des Stefan Dzodic. C’est qui le prochain ? Jean-Michel Kabze ? François Yun Il-lok ? J’en peux plus de la filiation à tout va. J’en peux plus des mêmes gueules depuis 20 ans. Pour moi, Der Zakarian c’est la pire idée, sur le long terme, c’est un aveu de faiblesse, me lâche-t-il en tout début d’entretien, avant de préciser sa pensée. L’esprit Paillade c’est bien, mais ça doit se reposer sur de la compétence à tous les étages. Le danger, et c’est ce que je ressentais déjà quand j’étais au sein du club, c’est qu’on soit dans les souvenirs, dans le passé en permanence et que cela nous empêche d’être innovants. Quand tu vois ce que fais Reims, Toulouse ou Lens en ce moment, on est à mille lieues. Surtout qu’à mon sens, Laurent Nicollin a des qualités, mais il a pas le côté pionnier, innovant, de son père (centre de formation, féminines). Puis, il y a quelque chose qui m’agace particulièrement avec cet « Esprit Paillade», c’est qu’on nous le ressort à toutes les sauces pour nous endormir dès que ça va mal. On l’a encore vu ces derniers mois. »

Jérôme a beau vouloir prendre ses distances avec un certain «Esprit Paillade », il me demande de clôturer l’interview avec une pensée pour la grande famille du MHSC à travers un hommage à Guy Elfassy qui est décédé en avril 2020. « C’était un bénévole qui faisait beaucoup au club, notamment, lors des jours de match. Il était partout, vraiment. Puis avec nous, les stagiaires il a été aux petits soins, il nous a accueillis et il s’est débrouillé pour qu’on se sente bien » . »

Si vous êtes aussi un Pailladin d’ailleurs et que vous voulez témoigner de votre passion à distance, n’hésitez pas à laisser un commentaire sous cet article, ou si vous êtes plus timide, contactez-nous à l’adresse mail suivante : [email protected]. En attendant un nouvel épisode, vous pouvez toujours consulter les précédents numéros de Pailladins d’Ailleurs :

#1 : Rémi, Lys-Les-Lannoy (59)

#2 : Jérôme, Vanvey (21)

#3 : Antony, Tourcoing (59)

#4 : Lionel & David, Winnipeg (Canada)

#5 : Jean, Berlin (Allemagne)

#6 : Hugo, Métabief (25)

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